Le ‘Best Five’ !

Je vais mettre en forme une petite réflexion qui m’a été inspirée par mes 3 premiers voyages à la découverte des animaux d’Afrique et d’Asie. Ça commence par la revendication suivante :

NON AUX ‘BIG-FIVE’…

OUI AUX ‘BEST-FIVE’ !

En effet, au Kenya et en Afrique du Sud, j’ai pu observer des hordes de touristes affluer pour vivre, comme moi, un séjour inoubliable. Tout séjour en Afrique, pour être justement inoubliable, doit comporter un ‘safari’ dans un parc national ou une réserve (privée quand on a la thune… c’est encore mieux) pour rechercher et observer des animaux emblématiques.

 

Tous les touristes qui arrivent fraîchement en Afrique – s’ils n’ont pas été « abrutis » avant leur voyage par les tours opérateurs – n’entendent parler et sont submergés de visuels mettant en avant le ‘BIG 5’. Du directeur d’hôtel aux serveurs des restaurants, en passant par les pompistes, tous demandent si le ‘BIG FIVE’ a été vu ! Et cette question est répétée tous les jours comme un rituel…

Mais qu’est-ce que le ‘BIG FIVE ?

Le ‘BIG 5’ est composé des animaux qui doivent A-B-S-O-L-U-M-E-N-T être vus pour réussir son safari ! Le ‘BIG 5 comporte évidement le roi des animaux – le lion – mais aussi trois des plus gros animaux de notre planète : l’éléphant et le buffle – faciles à observer -et le rhinocéros -le moins courant des trois. Enfin, le ‘BIG 5 inclut aussi le discret léopard, difficilement observable. C’est lui qui vous fera manquer votre ‘BIG 5

Première remarque : Pourquoi inclure le léopard, fatalement pas si ‘big’, et exclure la girafe et l’hippopotame du groupe ? Pourquoi cette ségrégation pourrait se demander Sophie, la girafe des tous-petits ?

Seconde remarque et c’est le revers de la médaille d’une telle obsession : la volonté des touristes de ‘faire leur BIG 5 engendre une frénésie chez les chauffeurs qui, pour avoir un gros pourboire, conduisent vite, utilisent les talkies-walkies ou des téléphones portables pour communiquer entre eux et ne s’arrêtent pas devant les autres animaux, allant jusqu’à priver leurs passagers de spectacles uniques dont ces derniers n’ont même pas conscience et à gâcher le quotidien des « aventuriers » plus tranquilles… Quel dommage !

En réaction à ce ‘BIG 5 finalement arbitraire, je tiens à vous présenter ici le ‘BEST 5 que je viens d’inventer (du moins, je l’espère…) dans l’espoir d’ouvrir un peu les yeux de ceux qui iront en Afrique après avoir lu ce bulletin. Ne vous laissez pas berner, prenez votre temps ! Il y a tant d’autres animaux à découvrir et le temps justement, avec l’aide du mécanisme de la sélection naturelle (cf. l’article sur Monsieur Darwin), a engendré des animaux avec des adaptations tellement particulières. Ces adaptations sont si poussées, si parfaites que parmi les 5 espèces que j’ai choisies pour composer le ‘BEST 5, certaines sont actuellement en grand danger à cause de l’Homme et ils risquent de s’éteindre pour toujours !

Bon, tout d’abord, je rends justice à Sophie*, la girafe fait partie de mon ‘BEST 5 ! La girafe a co-évolué avec les acacias de la savane qui « ont grandi » pour échapper aux zèbres et aux antilopes. Son long cou lui permet de prélever les feuilles les plus tendres situées entre 2 et 6 mètres de haut. Grace à sa langue musclée, très longue, et ses lèvres préhensiles couvertes de protection, elle peut se régaler sans craindre les épines des branches ! Même s’il resterait entre 100.000 et 150.000 girafes à l’état sauvage, la sous-espèce du Niger, la dernière d’Afrique de l’Ouest, est devenue très rare. Autrefois présentes par milliers, du Niger au Sénégal, elles ont été décimées par l’extension des zones cultivées, la chasse, le braconnage et la désertification. En 1996, il n’en restait que 49 vivant dans une région au sud de la capitale du Niger, où elles se sont concentrées dès les années 80… Aujourd’hui, des gens travaillent pour les sauver mais les effectifs augmentent lentement, trop lentement…

Dans mon ‘BEST 5 vient ensuite un autre herbivore, le gemsbok, sans doute l’une des espèces animales les plus adaptées au désert… Cet animal aussi appelé Oryx gazelle, vit au en Namibie, au Botswana, en Afrique du Sud et plus rarement en Angola. On le rencontre en groupe de 5 à 25 individus ; à l’exception des vieux mâles qui sont solitaires et sédentaires. Le gemsbok est, pour simplifier, une grosse antilope, avec une encolure massive et de superbes cornes rectilignes pouvant atteindre 1,20 mètres ! Il est effectivement parfaitement adapté aux conditions désertiques : il peut faire face aux fortes chaleurs et n’a pas besoin de boire beaucoup car il retire son eau en quantité nécessaire dans les melons d’eau et autres fruits sauvages et en broutant la nuit. De plus, il ne la gaspille pas grâce à son système digestif/urinaire qui absorbe toute l’eau des aliments et concentre les urines. Enfin, il a la capacité d’élever sa température corporelle au dessus de celle de l’environnement de façon à perdre de la chaleur avec l’extérieur plutôt qu’à surchauffer. Une région très vascularisée du nez lui permet de refroidir le sang alors riche en dioxygène avant d’atteindre le cerveau, permettant à ce dernier de ne jamais être endommagé par la chaleur. Il y aurait 400.000 gemsboks à l’état sauvage. Certes, la situation est plutôt bonne pour eux mais quel sera leur avenir avec les changements climatiques en vue ? S’étendront-ils ou seront-ils décimés ?

J’ajoute à mon ‘BEST 5 un autre animal -TA-DAHA- l’otocyon !!! Mais qu’est-ce que c’est cette bestiole pourraient me dire certains ? Son nom anglais ‘Bat-eared fox’, va vous mettre sur la piste puisque la traduction littérale est ‘renard à oreilles de chauve-souris’. L’otocyon est en fait un des plus petits canidés du monde, il pèse 3 à 4 kg. Il possède de longues pattes noires, un museau en pointe, un masque noir sur la face (un peu comme un raton laveur) et deux grandes oreilles pour sa taille pouvant mesurer jusqu’à 13 cm ! On le trouve en Afrique, au Sud et à l’Est du continent. Son régime alimentaire est composé à 80% d’insectes (termites, bousiers, scarabées…) et de scorpions. Il lui arrive aussi de manger des reptiles, des rongeurs, des fruits et quelques oiseaux. Ses oreilles sont de véritables satellites qui lui permettent de localiser ses proies, même les insectes enfouis dans le sol ! Il prospecte en trottant la tête baissée en avant, les oreilles parallèles au sol et après détection d’une proie, il se met à creuser frénétiquement pour l’attraper, il est très persévérant. On le voit beaucoup au milieu des troupeaux d’herbivores où il trouve les insectes dans leurs excréments… Enfin, fait rare chez les carnivores, les jeunes sont élevés par le couple. Pour moi, c’est un vrai bonheur de voir cet animal car il aurait pu ne pas exister ! En effet, l’Afrique regorge de nombreux carnivores mais il s’est distingué des renards, chacals et protèles en occupant une niche écologique vacante… Merci aux mécanismes de spéciation ! Certes, cette espèce n’est pas très menacée -on ne sait combien il en reste à l’état sauvage- mais c’est un animal que l’on observe maintenant plus souvent écrabouillé sur les routes Sud-Africaines que dans les parcs nationaux…

Comme le ‘BIG 5′ est particulièrement sectaire et a exclu tout volatile, je viens rendre justice en leur faveur et j’ajoute l’outarde kori à mon ‘BEST 5. Cet oiseau, qui pèse 13 à 20 kg, est le plus gros capable de voler au monde ! D’ailleurs, il le fait plutôt à contrecœur, seulement quand il ne peut fuir le danger en courant. L’outarde kori devient aujourd’hui de plus en plus rare en dehors des aires protégées, victime de la colonisation et/ou de la destruction de son habitat par l’homme… Pourquoi avoir choisi ce drôle d’oiseau si peu coloré et aux formes grossières, alors que l’aigle bateleur, le serpentaire, le rollier africain ou autre guêpier pourpre sont magnifiques au centuple ? Eh bien, parce que l’outarde kori a trouvé une niche écologique qui risque à terme de faire disparaître l’aptitude incroyable qu’est la capacité de voler alors que la sélection naturelle aura mis des milliers d’années pour la faire apparaître… Cet oiseau est dans une situation intermédiaire entre les oiseaux volants et les non volants (autruches et manchots)…

‘Last but not least’, le dernier membre de mon ‘BEST 5 est le guépard. Et oui, j’ai quand même choisi un félin ! Bien que le lion et le léopard soient très intéressants, le guépard est le produit d’une évolution plus poussée. Ce félin a longtemps été positionné à part dans cette famille, du fait de sa fine morphologie, de ses griffes partiellement rétractables et de sa stratégie de chasse unique : la course. En effet, le guépard est le seul animal capable de courir plus vite que le springbok. Ce dernier allant jusqu’à 95 km/h., le prédateur a co-évolué avec lui et est aujourd’hui capable de dépasser les 100 km/h. pour l’attraper ! Mais cet avantage n’est valable que sur courtes distances, après 500 mètres, le guépard est vaincu ! Du fait de ses caractéristiques particulières, certains scientifiques au XIXe siècle voulaient le classer parmi les canidés… Mais des récentes études génétiques ont confirmé son appartenance à la famille des félins et, découverte incroyable, cette espèce y serait bien ancrée, partageant une lignée évolutive avec le puma et le jaguarondi, deux espèces américaines… Étonnant, non ? Aujourd’hui, il reste moins de 12.000 guépards à l’état sauvage. A l’exception de l’Iran, il a disparu d’Asie et les populations africaines sont très fragmentées. Les conflits avec les fermiers du Sud de l’Afrique (Namibie, Botswana, Afrique du Sud, …) n’améliorent pas la situation. En captivité, on dénombrait 1.417 individus au 31 décembre 2007 mais malheureusement cette espèce s’y reproduit bien moins que ces cousins… Pour finir, le guépard a un patrimoine génétique amoindri, conséquence directe de périodes difficiles il y a 10.000 ans (une histoire de goulots d’étranglement). Pour l’illustrer, il suffit de savoir que l’on peut greffer n’importe quel morceau de peau d’un guépard (A) sur un guépard (B) sans rejet, une chose impossible chez l’Homme et tous les mammifères… Bref, au final, une épidémie et -HOP- l’espèce disparaît ! Dommage pour un si bel animal, résultat parfait de la sélection naturelle…

Ainsi s’achève ma revendication :

NON AUX ‘BIG-FIVE’…

OUI AUX ‘BEST-FIVE’ !

Pensez-y quand vous partirez en Afrique ! Ensuite, à vous de faire votre ‘BEST 5’, je vous y encourage !

Une dernière petite remarque : Alors que l’Inde possède une faune et une flore remarquables qui pourraient être judicieusement valorisées, les responsables des parcs nationaux indiens ont décidé de communiquer selon le modèle africain, avec la même formule, et propose même une surenchère avec leur ‘BIG 10’ ! Je suis mort de rire ! Un ‘BIG 10 pour attirer les touristes ayant déjà visité l’Afrique… Au final, ces derniers ne retiennent qu’une chose : la faune du sous-continent est moins riche que celle d’Afrique et passe leur temps à faire des comparaisons… aux désavantages de l’Inde… C’est dommage !