Tissu de mensonges…

…ou la pédagogie calamiteuse de certain parc zoologique…

Alors que la majorité des parcs zoologiques a fait un travail remarquable depuis 30 ans, en améliorant aussi bien les conditions d’hébergement de leurs animaux, qu’en développant leurs compétences et maitrise en élevage et en médecine vétérinaire et en créant une pédagogie de plus en plus pertinente, appréhendant l’environnement dans sa globalité, …

certains établissements restent à la traine

… et causent même, en entretenant des vestiges de notre passé moins glorieux, préjudice à tous les établissements qui poussent la profession vers le haut !

Un exemple ?

Panneau_catastrophe_entierRegardez le panneau pédagogique ci-contre…

 

Voilà de quoi faire bondir la majorité des directeurs de zoos français, et on ne parle pas du personnel animalier et pédagogique !

Ce panneau, réellement affiché dans un établissement dont on taira le nom (mais facile à retrouver), est un véritable tissu de mensonge où chaque ligne comporte des erreurs, des falsifications ou des omissions volontaires pour justifier de la médiocrité des installations présentes.

Il est, pour une personne sans grande culture naturaliste ou scientifique, évidemment difficile de douter du contenu à la lecture de ce panneau, à aucun moment… Et pourtant !!!

Bref, voici pourquoi, point par point, ce panneau est un tissu de mensonge et une catastrophe pour la profession :

 

1) On commence par l’introduction qui plante le décor…

Ce qui est dit : « Vous ne visitez pas un parc zoologique conventionnel mais un centre de reproduction […] ce qui explique la configuration et les dimensions des enclos ».

Ce que cela sous-entend : Cette introduction oriente le lecteur de façon à lui faire déduire que peu d’établissements ont le statut de « centre de reproduction », que cette classification « centre de reproduction » est au-dessus, meilleure, qu’« un simple parc zoologique » dit « conventionnel » ici, et que les enclos de ce lieu, pourtant de très petite taille, inadmissibles, permettent un meilleur succès en matière de reproduction…

Ce qui n’est pas dit : En réalité, il faut savoir que la reproduction est l’expression d’un besoin physiologique ancestral pour les espèces animales, celui de transmettre une descendance. L’auteur ne dit pas que quelle que soit la dimension de l’enclos (et l’état de stress des individus), la mise en contact d’un mâle et d’une femelle entrainera tôt ou tard la naissance de jeunes pour l’immense majorité des mammifères et oiseaux. En fait, même dans de mauvaises installations, en totale inadéquation avec leurs besoins biologiques et leur bien-être, comme les cages exiguës des cirques ou celles de cet établissement, les animaux peuvent se reproduire… Si l’on va plus loin et que l’on interprète ce paragraphe, veulent-ils dire qu’il faut nécessairement rendre les animaux « malheureux » pour qu’ils puissent se reproduire ??? Enfin, il faut ajouter qu’il n’existe actuellement pas de classement, de label, ni d’appellation officielle pour distinguer les parcs zoologiques. Tout parc zoologique peut au final prétendre être un centre de reproduction aujourd’hui…

Panneau_catastrophe_1

2) L’auteur aborde ensuite une liste de problèmes que les jeunes des « grands Carnivores » peuvent rencontrer au cours de la vie et évoque de « lourdes pertes ».

Ce que cela sous-entend : En lisant ce paragraphe, l’auteur oriente les lecteurs pour leur faire comprendre qu’il y a vraiment très peu de jeunes carnivores qui atteignent le stade adulte à l’état sauvage du fait de multiples « échecs » (le mot est dur, très connoté négativement) et que ces problèmes rencontrés dans la nature existent tout autant en captivité, alimentant l’idée que la reproduction en captivité est tout aussi difficile. L’auteur veut-il par la même occasion élever l’établissement et le faire passer pour un lieu essentiel dont la mission est des plus nobles ?

Ce qui n’est pas dit : Outre la maladresse dans l’écriture (une mère n’euthanasie pas ses petits !), l’auteur exagère la situation en omettant délibérément d’apporter des chiffres et des comparaisons entre groupes d’animaux (familles, espèces, ..) et en utilisant des mots très forts et connotés négativement (« lourdes pertes », « échecs »).

Or, tous les problèmes mentionnés existent réellement mais ils sont au contraire plus anecdotiques que l’auteur le laisse entendre. En réalité, chez les Mammifères Carnivores, 30% des jeunes n’atteignent en moyenne pas l’âge adulte (c’est bien sûr variable suivant les familles et espèces) et c’est normal ! Si ce n’était pas le cas, si les taux de survie étaient si bas que l’auteur le prétend, les espèces évoquées n’auraient pas vécu des millions d’années et nous n’en parlerions pas ce jour…

Les problèmes mentionnés ne sont au final que la conséquence de facteurs naturels de régulation des populations (compétition entre jeunes, prédation par d’autres carnivores) et/ou de troubles temporaires (les femelles primipares ne savent pas toujours comment élever leur première portée) ou individuels (composantes génétique, physiologique et comportementale pouvant avoir de multiples répercussions). Enfin, les « combats pré et post accouplement mentionnés » ne sont pas des « échecs », ils sont la conséquence du moteur de l’évolution qui oblige les animaux à choisir leurs partenaires.

Bref, tout concourt, depuis des millions d’années, au maintien de l’équilibre entre les effectifs des proies et des prédateurs au sein des écosystèmes qui ne sont pas sans limites. Et cela fonctionne très bien sans la présence de l’Homme. L’homme n’a rien à voir avec cela.

Pour aller plus loin, le taux de mortalité, prétendument élevé dans le texte, n’est pas la cause de la disparition des grands Carnivores. Pourquoi l’auteur du panneau qui évoque la disparition des espèces n’a pas abordé les réels problèmes que sont la déforestation, le braconnage, l’anthropisation des milieux, la pollution ???

Est-ce qu’au final l’auteur n’exagère pas volontairement les problèmes rencontrés dans la nature pour élever le taux de décès au niveau de celui qui pourrait être rencontré dans cet établissement ?

Panneau_catastrophe_2

3) Fort de ses explications, l’auteur recentre maintenant son propos sur l’établissement en précisant son rôle noble…

Ce qui est dit : « Le Centre de Reproduction œuvre à la limitation de ces déboires naturels. Leurs pensionnaires sont en Mission de reproduction. Il leur est proposé suffisamment de partenaires […] pour avoir le maximum de réussite au service de la conservation […] ».

Ce que cela sous-entend : L’auteur souhaite ici ériger l’établissement comme un lieu important, ayant une mission « noble », celle de reproduire, et tente ainsi de faire passer cette mission avant tout le reste aux yeux des visiteurs. Cela comprend bien évidemment les piètres conditions de vie de animaux dans leurs installations trop exiguës…

Ce qui n’est pas dit : Il faut bien comprendre une chose, c’est qu’aujourd’hui la reproduction des animaux en captivité, quelle que soit l’espèce (et c’est encore plus vrai avec les Carnivores), est maitrisée. Beaucoup de Carnivores (et la majorité des félins) font aujourd’hui l’objet de programmes d’élevage internationaux. Tout au long de l’année, de nombreux échanges d’animaux sont réalisés entre parcs zoologiques pour assurer un bon brassage génétique, conserver le maximum de variabilité depuis les fondateurs et éviter la surreprésentation de certaines lignées. Tout est parfaitement contrôlé, et aujourd’hui les parcs zoologiques sont même contraints d’exercer un contrôle des naissances, faute d’espace disponible pour placer les descendants… Il est bien loin le temps où reproduire les espèces, couples, groupes, tous les ans avait une utilité. Bref, les programmes d’élevage comportent davantage de recommandations de contraception que de reproduction !

En fouillant un peu, ce qui est intéressant ici, c’est que cet établissement français qui prétend être en « Mission de reproduction », « au service de la conservation » et s’érige en sauveur n’est aucunement membre de l’Association Européenne des Zoos et Aquariums (EAZA) ou de l’Association mondiale similaire (WAZA), unique moyen de participer activement aux seuls programmes d’élevage…

En fait, les conditions d’hébergement des animaux et d’accueil du public de cet établissement ne répondent pas aux standards de qualité définis par ces associations et comme les individus qu’il héberge ont une histoire et un pédigrée flous (s’ils sont pas en plus hybrides), les naissances enregistrées dans cette structure ne sont pas du tout utiles pour les programmes d’élevage !!! Ces animaux ne peuvent servir qu’à être présentés, comme ceux des cirques finalement. Ils ne pourront jamais jouer un rôle en matière de conservation, ni dans le cadre des programmes d’élevage européens et mondiaux, ni dans un contexte de réintroduction, malgré ce que l’auteur prétend.

Encore une foi, la « mission de reproduction » en question est uniquement un argument utilisé pour cacher le caractère inadmissible des installations.

Panneau_catastrophe_3

4) Pour conclure, l’auteur aborde la problématique de la réintroduction.

Ce qui est dit : « La finalité […] reste la réintroduction dans leur milieu d’origine, où dramatiquement, ils ne parviennent plus à se reproduire. Plus de reproduction = disparition !!! »

Ce que cela sous-entend : L’établissement, en reproduisant au maximum ses animaux, fournit des jeunes qui seront réintroduits, sauvant ainsi ces espèces « en tragique voie d’extinction ». Là encore, on pourrait penser que l’auteur en érigeant cette finalité au-dessus de tout, justifie encore des mauvaises conditions d’hébergement que le lecteur va rencontrer au cours de sa visite. L’auteur souhaite faire saisir que si l’établissement ne reproduit plus dans son enceinte, l’espèce va disparaître dans la nature…

Ce qui n’est pas dit : Le lien entre la reproduction en captivité et la disparition dans la nature est tout simplement faux !!! Il restera encore des tigres en parcs zoologiques quand les derniers sauvages auront disparu de leur milieu naturel. En fait, la réalité autour de la réintroduction d’animaux n’est pas objectivement expliquée et est bien plus complexe, l’auteur voulant simplement soutenir l’existence de l’établissement…

En effet, la réintroduction est un des objectifs des programmes d’élevage de l’EAZA et de la WAZA mais il est non réalisable actuellement pour une majorité d’entre eux… En fait, la réintroduction est  un objectif qui est tellement perçu comme noble et ultime par le grand public qu’il est, depuis toujours, évoqué pour justifier la captivité dans la profession.

Alors certes, et nous en sommes ravis, de nombreux programmes de réintroduction ont été entrepris et ont permis de relâcher de multiples animaux avec plus ou moins de succès. On peut citer les espèces suivantes : le bison d’Europe  (Pologne), le vison d’Europe (Estonie), le cheval de Przewalski  (Mongolie), le tamarin lion (Brésil), le furet à pieds noirs, le loup roux, le pronghorn (USA), le lynx pardelle (Espagne), le lynx boréal (UE), le vautour fauve, l’outarde canepetière (France), le condor de Californie (USA), le crapaud de Kihansi (Tanzanie), …

Mais comme précisé plus haut la réintroduction reste, pour la majorité d’espèces, impensable aujourd’hui compte tenu de l’expansion humaines et des croyances et traditions (il suffit d’analyser ce qui se passe en France avec l’ours, qui a besoin de multiples réintroductions, et le loup, revenu naturellement…).

Aujourd’hui le problème n’est pas la reproduction mais la disponibilité en espace pour ces animaux. Prenons le cas du tigre de Sumatra, très menacé sur son île. Il serait en effet aisé d’augmenter le nombre de naissances en captivité chaque année pour réintroduire de nombreux jeunes. Mais quel est l’intérêt de réaliser cela alors que les 200 tigres de Sumatra restant sur l’île n’ont déjà pas assez de forêts primaires pour vivre et prospérer ??? Pour inverser le phénomène, il faudrait prendre des mesures drastiques pour limiter l’expansion humaine sur l’île, mesures qui comprendraient des obligations de contraception, la création de nouveaux parcs nationaux et leur regroupement ou connexion via des corridors, stopper la déforestation et la plantation de palmiers à huile puis  reboiser les terres avec des essences locales variées… Bref, des choses très complexes à mettre en place d’un point de vue politique et socio-économique…

L’auteur, en occultant encore volontairement une partie de la problématique, laisse penser que les animaux réintroduits ont vraiment du mal à se reproduire (en lien avec le point n°2) mais leur reproduction à l’état sauvage est possible si les moyens sont mis pour lever tous les obstacles précédant et entourant la réintroduction proprement dite.

Panneau_catastrophe_4

CONCLUSION :

En lisant ce genre de panneau, on peut douter du rôle réellement pédagogique des parcs zoologiques mais il faut maintenant rappeler que l’immense majorité des établissements français ne communique pas de cette façon hypocrite et mensongère.

Bien au contraire, les parcs zoologiques tournés vers l’avenir s’entourent ou même emploient des enseignants, biologistes et autres experts qui ont pour missions de réaliser des panneaux de qualité avec des faits réels ; certains établissements allant même jusqu’à afficher la provenance et la destination de tous leurs animaux ainsi que des compte-rendus d’autopsie quand certains emblématiques emblématiques décèdent…

A vous de jouer maintenant, repérez la désinformation dans notre profession !

petits-mensonges

Article rédigé par Sébastien Verdin et Grégory Breton, respectivement responsable pédagogique et responsable scientifique du Parc des Félins (77).