Braconnage = Génocide anthropocentrique ?

Avant-propos : Ce texte est une adaptation d’un article rédigé en anglais par Monica Medina et Johan Bergenas publié dans le Washington Post, et enrichi de mes diverses lectures et expériences professionnelles…

Le commerce illégal ou trafic d’espèces de faune sauvage, alimenté par le braconnage, est une activité qui remonte déjà au 19ème siècle et couvre maintenant l’ensemble de notre planète.

Depuis 50 ans, ce fléau mute et grossit de façon exponentielle. Il préfigure la disparition totale et à tout jamais de très nombreuses espèces animales.

Son évolution est maintenant si rapide que les connaissances de chacun sur le sujet sont vite obsolètes. Nombreuses sont donc les idées reçues et voici les principales qui méritent d’être éclaircies.

 

In this February 2012 photo released by Boubandjida Safari Lodge, the carcass of an elephant slaughtered by poachers is seen in Boubou Ndjida National Park, located in Cameroon, near the border with Chad. Poachers have slaughtered at least 200 elephants in the past five weeks in a patch of Africa where they are more dangerously endangered than anywhere else on Earth, wildlife activists said Thursday, Feb. 16, 2012. (AP Photo/ Boubandjida Safari Lodge)

I. Les éléphants d’Afrique sont en très grands dangers.  Certes, MAIS PAS SEULEMENT !

Depuis 2012 et la publication de divers reportages sur le sujet (dont un article choquant publié dans National Geographic), l’opinion publique est devenue très sensible à la situation des éléphants d’Afrique (Loxodonta africana) dans le sud du continent. A tel point que des sommités telles qu’Hillary Clinton et le prince de Galles sont montées au créneau pour les sauver…

Chassés depuis des siècles du fait de « l’appétit de l’humanité » pour son ivoire, il resterait aujourd’hui, selon les experts en la matière, un peu moins de 725.000 éléphants au monde et d’autres estimations plus pessimistes en mentionnent 472.000. Malgré la législation internationale et les réglementations en vigueur, des saisies « record » d’ivoire ont encore été réalisées en 2014 et 2015 dans de nombreux pays d’Asie (Thaïlande) et du golfe (EAU, Qatar)…

Mais même si le pachyderme monopolise les devants de la scène par sa taille et son ivoire, de très nombreuses autres espèces animales sont encore plus proches de l’extinction. Voici quelques exemples :

  • Le tigre (Panthera tigris), le plus emblématique des félins, chassé par les braconniers et véritablement vendu au détail, en pièces détachées, pour son utilisation en médecine traditionnelle chinoise et pour « pimenter » le vin des nouveaux riches, serait moins de 3.200 à l’état sauvage !!!! Alors qu’on estime qu’ils étaient environ 100.000 au début du 20ème siècle…

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  • Les 25.000 rhinocéros noirs (Diceros bicornis) et blancs (Ceratotherium simum) restant en Afrique sont impitoyablement poursuivis pour leurs cornes, lesquelles auraient – à tord – des vertus de guérison de certaines maladies comme les rhumatismes. Au marché noir, une livre (= 456 grammes) de corne rapporte plus que la même quantité en or ou en cocaïne, alors qu’elle est constitué du même matériau qui compose nos ongles et nos cheveux, à savoir la kératine !!!! D’ailleurs, les rhinocéros sont en train de vivre leur plus important génocide à ce jour. Le nombre d’animaux tués augmente de façon exponentielle chaque année et des populations entières disparaissent : le Vietnam n’a officiellement plus de rhinocéros depuis 2011 (Rhinocéros de Java, Rhinoceros sondaicus). Il en va de même en 2014, avec le rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis harrissoni) qui a définitivement disparu de Sabah sur l’île de Bornéo.

Jugez par vous-même avec ce graphique qui illustre le cataclysme…

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OK, le tigre et les rhinocéros sont finalement des espèces emblématiques et menacées au même titre que l’éléphant… Mais d’autres espèces fétiches du grand public dont on pense qu’elles sont éternelles commencent également à souffrir. C’est le cas du lion (Panthera leo) et de la girafe (Giraffa camelopardalis). Oui vous avez bien lu, la girafe !

  • En effet, les girafes subissent ce que les experts appellent une « extinction silencieuses ». Le nombre de girafe en Afrique a diminué de 40% dans les 15 dernières années. Il en resterait moins de 80.000. La déforestation et la destruction de leur habitat, l’expansion de l’agriculture fait qu’elles rentrent de plus en plus en contact avec les cultivateurs qui n’hésitent pas à les abattre. Auparavant peu chassées pour leur viande , les braconniers font maintenant d’une pierre deux coups (on évite pas le mauvais jeu de mot dans ce cas) et ont maintenant une grande quantité de viande disponible sans faire d’effort particulier… On leur prêterait même maintenant des vertus anti-VIH… Pfffiou…

Et quoi dire des milliers d’espèces peu attractives, voir répulsives, celles méconnues et celles découvertes récemment alors qu’elles sont déjà en trop faible effectif ???

  • Braco_5Les espèces aquatiques de nos océans, de nos rivières, souffrent aussi. Voyez plutôt : malgré l’augmentation du nombre de nations interdisant la pêche aux requins pour prélever leurs ailerons, environ 100 millions de requins sont tués annuellement, la grande majorité dans ce but. Appelée « finning » en anglais, cette pratique consiste à pêcher les requins, découper vivants leurs ailerons et les rejeter à la mer… Pourquoi ? Et bien en Asie, les ailerons de requin sont des « friandises » utilisées pour parfumer les soupes et ils coutent simplement 250 fois le prix de la viande du poisson en lui-même !!!! Et pauvres requins, même dans les pays où la conception de l’animal est bien plus élevée, ils sont quand même détestés et nombres de nos concitoyens veulent les exterminer sous prétexte que 4 ou 5 surfeurs et nageurs sont tués par an…

Bref, les éléphants attirent beaucoup l’attention du grand public mais l’extinction concerne bien plus d’animaux, dans tous les taxons (=ordres, familles, genres, …) des Vertébrés, des anours aux primates, des pangolins aux tortues, des petits félins et canidés aux oiseaux… et pas seulement les espèces exotiques mais aussi les espèces locales telles que le vision d’Europe (Mustela lutreola) ou l’outarde canepétière (Tetrax tetrax).

 

Workers stand at a police station after they were rescued from a brickworks in Hongdong County in Linfen

II. Le braconnage n’est qu’un sujet environnemental, écologique… FAUX !

Pour faire instruit, on peut dire que coût du braconnage sur le monde animal et les écosystèmes est très élevé mais qu’il n’a pas d’incidence sur les préoccupations quotidiennes du grand public. En clair, on est en train de massacrer de nombreuses formes de vie sur notre planète et la majorité de 7 milliards d’entre nous s’en fout ! En excluant le tiers vivant en dehors du seuil de pauvreté, il reste quand même du monde… Pour cette raison, la question a tendance à n’être abordée que par les groupes de protection animale et les associations et fonds en faveur de la faune sauvage.

Mais des hommes sont aussi directement victimes de ce commerce illégal d’espèces de faune sauvage. Dans les 10 dernières années, plus de 1.000 rangers travaillant dans les parcs nationaux et réserves ont été tués à travers le monde alors qu’ils défendaient les espèces sur le terrain. D’après leurs propres mots, les rangers n’ont aucune chance face aux braconniers de mieux en mieux armés.

Autre fait encore plus surprenant, un rapport des Nations Unies mentionne qu’il existe dorénavant des liens entre la pêche illégale et le trafic d’humains. Une récente enquête a mis en lumière la situation critique de 40 pêcheurs, principalement Birmans, qui ont été vendus comme esclaves à un navire qui débarquent ses prises en Indonésie. Etant donnée la portée de cette industrie dans notre monde de plus en plus ouvert à la mondialisation, ce poisson peut même atterrir inopinément aux quatre coins du globe, dans les assiettes de consommateurs aux idéaux nobles, inconscients du début de la chaine…

Cette violation des droits de l’homme est maintenant largement documentée. En Thaïlande par exemple, le troisième plus grand pays exportateur de fruits de mer. Et des milliers de travailleurs inconnus de pays appauvris, incluant des enfants, sont vendu en esclavage sur mer.

Et c’est sans parler des coûts engendrés sur notre futur quotidien du fait de l’absence de biodiversité et des modifications des écosystèmes. Les économistes commencent à s’y intéresser sérieusement, chiffrent la contribution de la nature dans l’économie mondiale et évaluent l’argent que nous ne perdons pas actuellement de son fait…

 

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III. Les braconniers sont des locaux qui essayent de s’en sortir… FAUX !

La pauvreté et le braconnage ont longtemps été liés, le second étant la conséquence du premier. On a souvent dit que « le braconnage est la chasse du pauvre ». Des chercheurs ont par exemple corrélé les forts taux de mortalité infantile dans certaines régions avec les hauts niveaux de braconnage de l’éléphant d’Afrique. Certains braconniers expliquent lors de leur condamnation qu’ils « braconnent pour essayer de s’en sortir au quotidien car ils sont très pauvres et c’est leur seul moyen de subsistance », voir même de « survie».

Mais le braconnage et le trafic d’espèces menacées a aujourd’hui explosé à tel point qu’il fait parti des quatre plus grands commerces illégaux au monde avec le trafic de stupéfiants, d’armes et d’humains. Et les affaires continuent de grossir et avec elles les moyens sont de plus en plus sophistiqués et les réseaux sont multi-strates, organisés au sein de filières locales, nationales et de réseaux mafieux internationaux. On est passé du braconnage local à l’ère « industrielle » de l’activité.

braco_chasseLes auteurs sont de plus en plus militarisés et connectés avec le crime organisé international. Pour certains observateurs, ils sont même les criminels les plus irréductibles qui existent aujourd’hui. Ce trafic est maintenant réalisé par les mêmes personnes qui commercent des humains, la drogue, les armes et les diamants de la guerre.

Il y a aussi des liens étroits entre le trafic de la faune sauvage et le financement du terrorisme, au Darfour, au Soudan, au Congo, en République Centrafricaine… En 2013, le secrétaire général des Nations Unies a publié un rapport soulignant les connections entre l’armée de résistance du criminel de guerre Joseph Kony et le braconnage des éléphants en Afrique centrale. D’autres rapports évoquent l’implication potentielle des groupes terroristes Boko Haram au Nigéria et el-Shabah en Irak (soutenant eux-mêmes Al Qaïda). Selon les estimations des Nations Unies, la vente d’ivoire par toutes les milices d’Afrique sub-Saharienne leur rapporterait un revenu annuel de 4 à 12 millions de dollars.

 

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IV. Le problème est en Asie et est engendré par les asiatiques… FAUX !!!!!

Du fait de la forte demande en ivoire et autres parties d’animaux dans cette localité du globe, la Chine et l’Asie du Sud-Est sont LES responsables de ce fléau. Mais les occidentaux ont le blâme facile et ne regarde pas ce qui se passe sous leur paillasson, à leur porte. En réalité, même si la Chine reste le plus gros marché pour le trafic de faune sauvage, les autres marchés, en volume et chiffre d’affaire, ne sont pas localisés dans le reste de l’Asie mais aux Etats-Unis et en Europe !

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En 2012, les autorités américaines ont saisi pour 2 millions de dollars d’ivoire dans les bijouteries de New York. En Europe également, le commerce est aussi florissant. En mars 2015, trois suédois ont été arrêtés alors qu’ils essayaient de vendre une corne de rhinocéros au marché noir. Il y a quelques années, un gang de malfrats en Irlande, (maintenant démantelé) prenait des renseignement par téléphone et réalisait des visites nocturnes de musées et de zoos à la recherche de cornes de rhinos pour les revendre par correspondance…

Nombreuses sont les enquêtes prouvant la possibilité d’acheter différents morceaux d’espèces menacées comme le tigre, des ailerons de requin dans toutes les métropoles hébergeant ou non une forte population asiatique (Paris, Londres, Rome, …) et via des annonces postées sur des sites internet marchants (eBay, le bon coin, …).

La pensée dominante est que des pays comme le Vietnam et la Thaïlande sont incapables de mettre en application les lois contre les crimes envers la faune sauvage ou de détecter les produits qui en sont issus dans leurs ports et à leurs frontières terrestres. Mais cela constitue aussi un challenge pour les pays les plus riches ! En effet, l’administration d’Obama a répété de nombreux appels pour intensifier les contrôles et les saisies sur le territoire américain mais les inspecteurs de ports et douaniers sur le terrain, accablés, sont dépassés pas l’ampleur et la complexité de la tâche. Même si des saisies sont réalisées, on est loin des 90% de réussite !

Les pratiques des consommateurs chinois doivent donc évoluer pour freiner le commerce en Asie, mais de grands changement sont aussi à opérer à l’Ouest !

 

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V. Les drones sont LA réponse et vont sauver les animaux… FAUX !

A l’ère du tout-numérique, certains acteurs de ce secteur pensent maintenant pouvoir sauver les espèces. En effet, plusieurs initiatives très médiatisées, bien ancrées dans l’ère du temps préconisent l’utilisation de « véhicules aériens sans pilote » (bref, des drones 😉 pour lutter contre le braconnage. En 2012, Google a même déjà donné au WWF une bourse de 5 millions de dollars pour utiliser des drones et d’autres technologies de pointe en Afrique et Asie.

Mais l’approche aérienne est-elle si pertinent en comparaison de l’approche terrestre? La majorité des rangers des parcs nationaux utilisent maintenant des téléphones portables qui, combinés avec des techniques simples telles que des clôtures électriques ou le suivi d’empreintes, permettent de réellement repousser tous les indésirables, des simples intrus aux vrais braconniers.

Les drones sont peut-être à la mode mais ils ne pourront finalement jamais seuls aider efficacement les rangers sur le ‘champ de bataille’ car ils peuvent rapidement être détruits par les milices de braconniers.

braco_droneEn outre, il est difficile de développer des drones légers, avec des batteries à longue durée et suffisamment résistants pour naviguer sur les terrains découverts en Afrique. Et ils deviennent même inutiles lorsque le couvert végétal est important comme dans les forêts, ce qui limite leur utilisation aux zones de savanes et excluent la forêt équatoriale africaine et la grande majorité de l’Asie. Et c’est sans même évoquer leur coût pour les organismes de conservation…

Il serait préférable de se tourner vers des solutions terrestres et de réfléchir à leur développement pour qu’elles soient plus efficaces et durables. Un exemple pertinent, des chercheurs de l’université de Linkoping en Suède réfléchissent à la question depuis un moment et ont lancé la fabrication de radars et de capteurs contrôlables à distance via des applications pour Smartphone afin de permettre aux rangers et commandants de recevoir des informations en temps réel du terrain. Un projet pilote est maintenant en cours au Kenya. Les capteurs qui ont été positionnés renvoient des alertes précoces sur les intrusions dans certaines zones sensibles et permettent aux rangers de visualiser et anticiper les déplacements des intrus au fil du temps, les aidant à intervenir plus rapidement, augmentant la probabilité de les appréhender et diminuant au final le braconnage sur les animaux.

Bref, la modernité, OUI, mais à bon escient !