Halte aux Bengales !

Voilà une prise de position pour laquelle je me fais littéralement insulter 2 à 10 fois par an…

Cet article date de 2006 mais je l’ai depuis étoffé en apportant de temps en temps des petites précisions et mises à jour… Histoire de clore définitivement le débat !

On prends son souffle et c’est parti !

Depuis plusieurs années maintenant, des éleveurs de chats domestiques expérimentent des croisements entre leurs chats domestiques et des félins sauvages pour obtenir des animaux avec un « look sauvage » et notamment de jolies petites tâches noires et rondes présentes chez aucun chat domestique.

Si vous avez ou aviez l’intention d’acheter un chat, ces nouvelles « races » comme le « Bengal » ou le « Savannah« , justement issus de ce genre de croisements, ne vous seront peut-être pas étrangères…

Cette pratique, apparue en Amérique du Nord dans les années 80, a malheureusement traversé l’Atlantique pour se développer aussi en Europe… Et les chats dits « Bengales » ou « Savannahs » sont respectivement issus d’un ou plusieurs croisements de chats domestiques (Felis silvestris catus) avec le Chat-léopard du Bengale (Prionailurus bengalensis bengalensis) et le Serval (Leptailurus serval), deux espèces de petits félins sauvages qui n’avaient pourtant rien demandé à personne !!!!

Je dit « malheureusement » car je suis consterné par ce nouvel engouement et le comportement de certains éleveurs de chats domestiques peu scrupuleux, je suis aussi consterné par la prise de position de la LOOF et autres équivalents à travers le monde qui ont accepté ces animaux et ont établis des standards… Et je ne suis pas le seul ! C’est le cas de tous les membres actifs de la conservation des espèces de félins sauvages !

Cette pratique est même extrêmement angoissante car ces animaux semblent maintenant, pour le grand public, être là naturellement et de plus en plus de gens veulent en acquérir. Pourtant, alors que nous sommes de plus en plus conscients des menaces que sont la destruction des d’habitats et le braconnage pour la survie des Félins, beaucoup ne savent pas que le croisement entre espèces, c’est-à-dire l’HYBRIDATION en terme scientifique, est une autre menace bien réelle pour les espèces de petits félins sauvages !

Pour bien comprendre, il faut savoir que les premiers félins « modernes » sont apparus il y a 12 millions d’années environ et qu’il a fallu des milliers d’années pour que les 36 espèces actuelles émergent, alors que les premières traces indéniables de domestication du chat sont datées entre 9000 et 2000 ans avant Jésus Christ, à l’époque des grandes dynasties Egyptiennes et des grandes civilisations du croissant fertile. Il y a ici une grande différence d’échelle ! L’ancêtre de nos chats domestiques n’est en réalité qu’un chat sauvage africain (Felis sylvestris lybica), les autres félins comme le chat-léopard du Bengale et le serval sont bien en plus anciens, issus d’autres lignées et leurs ancêtres communs ont divergé « au plus récent » il y a 6,2 millions d’années (voir l’arbre phylogénétique ci-contre adapté d’un article publié sur le sujet en 2006 dans Science). Bref, ces deux espèces utilisaient déjà leur propre niche écologique avant que la domestication du chat sauvage ait eu lieu…

Donc, cette hybridation réalisée par les éleveurs n’est pas un phénomène naturel ! Au lieu de s’accoupler, ces félins dans leur milieu naturel auraient même tendance à croquer les chats domestiques qui s’aventureraient trop prêt d’eux (si jamais ils se rencontraient et là, ce n’est pas si simple !).  Contrairement à ce que certains éleveurs ont pu me dire pour se défendre, ces croisements interspécifiques n’améliorent en rien ces animaux et n’agissent pas en faveur de leur protection ; bien au contraire, ils pourraient les mener à leur perte !

En résumé, les espèces sont créées par la sélection naturelle, un processus qui prends énormément de temps et se compte en milliers et millions d’années alors que les races sont créées par l’Homme par SA sélection artificielle en quelques décennies. Contrairement à ce que pense beaucoup de gens, les races de chats ont toutes été créées par l’Homme, non pas par la nature !!!! Le Birman est un bon exemple de race créée à partir de deux autres races, le Siamois et le Persan…

Faisons ici une pause et prenons le temps de revoir cet aspect, car c’est très pointu scientifiquement et je sais que j’ai perdu certains d’entre vous il y a quelques lignes… Pour rendre la chose beaucoup plus compréhensible, j’aime utiliser l’analogie suivante :

A titre de comparaison, avec la même échelle de temps géologique et le même principe biologique, quand l’Homme force l’hybridation du chat domestique avec le chat-léopard du Bengale, c’est comme si des extra-terrestres nous forçaient à nous accoupler, nous humains d’aujourd’hui, avec des gorilles ou des chimpanzés et qu’ils gardaient nos petits fertiles !!! Ne trouvez-vous pas cela gênant ?

J’imagine qu’avec cette image choquante je vous ai récupéré ???  Allez on continue !

Mais en plus de la dimension éthique, il faut aussi creuser un peu le dossier et chercher à savoir d’où proviennent ces félins sauvages que des éleveurs utilisent pour faire des hybrides…

Et là encore, il y a des choses à dire !

Les chats-léopards du Bengale et servals utilisés pour l’hybridation proviennent tout simplement du trafic des animaux sauvages où tout animal a une valeur marchande. Ce trafic est en grande majorité illégal mais il est aussi possible grâce aux failles législatives, aussi bien au niveau national qu’international, qui permettent de contourner les lois… en toute légalité !

Pour faire simple, les chatons de ces espèces sauvages utilisées pour l’hybridation sont généralement capturés après que leur mère ait été tuée (la mort des individus reproducteurs est d’ailleurs la première perte dramatique pour l’espèce…) et passent les frontières comme ça, « sous le manteau » ou avec de faux papiers sans que personne ne les remarque (Très peu de douaniers sont si spécialisés et, par conséquent, comment distinguer un bébé chat-léopard d’un bébé chat domestique ?). Contrairement à ce que pense les éleveurs qui m’insultent (« Le mal est fait mais je ne suis pas responsable et de toute façon on ne peut plus en importer, c’est illégal« ) , il y a encore actuellement des importations de chats-léopards sur le territoire français et en Europe. En 4 ans, les services vétérinaires et douanes Française et Belge ont demandé au Parc des Félins de recueillir 5 chats léopards du Bengale saisis chez des particuliers, éleveurs ou non, qui n’étaient pas en règle… Et ça n’est que la partie visible des saisies et pour deux pays seulement !

Voyageant un peu, et notamment en Asie, je peux vous garantir que les locaux ont compris qu’il y avait une demande, ils récupèrent les petits et les vendent sur les marchés aux occidentaux… J’ai  vu et on m’a relaté de sources sûres la présence de chats léopards du Bengale en vente sur des étalages dans divers pays d’Asie du sud-est (Cambodge, en Thaïlande, Indonésie, Myanmar, …). Je sais que la majorité des éleveurs n’envisagent même pas cela mais c’est la triste réalité pourtant…

Comme l’espèce n’intéresse pas beaucoup de gens et est amalgamée comme un « vulgaire » chat (il n’y pas localement de conscience du mal qui est fait et puis c’est une source de revenu comme énoncé plus haut), le trafic est facile. Avec toutes mes connaissances, j’en suis venu à la conclusion que la filière « race Bengale » est majoritairement responsable de ce trafic. Certaines sous-espèces de chats léopards sont même maintenant considérées comme menacées par l’UICN… Y a t’il d’autres causes ? Je vous pose la question ! Certains éleveurs m’avancent que les zoos sont les plus responsables mais pour avoir fait une étude approfondie sur la question, je peux infirmer ces dires. Le dernier chat-léopard directement importé de la nature par un zoo date du début des années 80… Depuis, seuls des animaux saisis sont confiés aux zoos. D’ailleurs, je vous invite à chercher combien il y a de chats-léopards dans les zoos français aujourd’hui… La liste n’a qu’un nom…

Certains éleveurs qui m’ont contacté m’ont dit « avoir une éthique, être consciencieux et faire attention aux lieux où sont envoyés leurs animaux » et « réfutent l’idée qu’il y ait toujours des importations d’animaux car il n’y en a pas besoin« . Mais comment peut faire une personne qui voudrait débuter un nouvel élevage et essayer de « percer » dans le milieu avec un autre type de robe, de couleur, etc ? Pour un français, une possibilité : importer un animal illégalement de la Belgique ou des Pays-Bas…

Pour les gens friands d’anecdotes, on a même proposé au Parc des Félins de recueillir un ocelot (Leopardus pardalis) qui a avait été obtenu illégalement par un particulier de la région PACA et qui voulait créer une nouvelle race… Cela n’a pas marché (pour des histoires de chromosomes mais je ne vais pas rentrer dans les détails) et l’animal, devenant dangereux en grandissant, le propriétaire l’a enfermé dans un caddie de supermarché avec une grille au dessus pendant environ un an avant que les pouvoirs publics se saisissent de l’affaire… Je vous laisse imaginer les troubles psychosomatiques développés par l’animal…

Du coup, l’hybride étant tellement cher que ses acquéreurs sont déjà un peu « triés » et là c’est la porte ouverte à toutes les dérives dont l’Homme est capable quand il s’agit de se mettre en avant et se faire mousser par rapport la normalité… Pensez-vous, quelle fierté de présenter à ces voisins son nouveau chat, un hybride !!! Et dans les dîners mondains les nouvelles vont vite : « Tiens, tu ne connais pas la dernière ? Les « Mercier » ont acheté un Savannah, c’est le croisement entre un chat et une petite panthère ! » -sic-

Allez courage, c’est presque la fin !

Pour conclure, l’Homme n’a jamais pu domestiquer d’autres espèces de Félins que le chat sauvage et ce n’est pas en 3 ou 4 générations qu’un éleveur de chat y arrivera avec des chats-léopards ou même d’autres espèces. Bien avant notre époque et après avoir domestiqué le chien, les animaux de rente, le cheval, l’âne et le chat, il y a eu des tentatives en Inde, en Egypte et Mésopotamie de domestication du guépard, du serval, du caracal et autre… et cela a échoué !

C’est peut-être du pinaillement de scientifiques mais les processus tels que l’habituation, l’imprégnation, l’attachement, l’apprivoisement et la domestication sont distincts et ont chacun une définition bien précise. Le fait d’habituer un chat-léopard du Bengale à la présence humaine et de lui apprendre à venir saisir des petits morceaux de viande dans votre main peut se faire avec un individu, en de nombreuses séances d’entrainement. Apprivoiser ces félins peut se faire en 3 ou 4 générations OUI mais pas la domestication ! Définitivement NON ! Apprivoiser un félin sauvage ne signifie pas le domestiquer !

C’est aisé à comprendre : si vous avez un vrai chat-léopard du Bengale et différents hybrides de 1ère génération (F1) et au-dela (F2, F3, etc) et laissez la porte, reviendront-ils un jour ? J’en doute. Aucun éleveur avec qui j’ai discuté n’est prêt à « prendre le risque »… Ils sont plutôt bien apprivoisés au-délà des F5 me semble-t’il…

Je pose donc 2 questions :

– Qui sont donc ces humains si présomptueux au point de vouloir « mixer et appareiller » les gènes des félins sauvages dans l’espoir d’obtenir un chat à l’apparence sauvage avec un tempérament domestique ?

– De quel droit les éleveurs de chats peuvent-ils diluer les gènes des Félins sauvages alors que cela a nécessité des milliers d’années pour que la nature les crée ?

Plutôt que de contribuer à la disparition des espèces sauvages en créant ou en achetant des hybrides, allez recueillir un de ces chatons domestiques échoués à la SPA, vous ferez un heureux et lui éviterez peut-être l’euthanasie. En effet, les chats domestiques ont un taux de prolificité si élevé et les refuges n’ont qu’un nombre limité de place qu’il n’y a pas d’autres solutions quelques fois !!

S’évertuer à « faire de nouvelles variétés » simplement pour leur look, l’appât du gain ou la frime vis à vis de ses amis n’est pas, et ne sera jamais, justifiable !

Malheureusement, même si les spécialistes démontrent les effets néfastes des OGM, de l’huile de palme, du tabac, du clonage, … les industriels récupèrent ces nouvelles trouvailles pour leur profits, les politiciens ferment les yeux et légalisent après et les consommateurs non informés consomment des choses qu’ils ne souhaiteraient pas si cela leur été bien expliqué… Mon article a pour vocation de faire ouvrir les yeux à tous sur l’origine des bengales et autre hybrides (félins mais aussi canins tels que le chien-loup de Saarloss).

Voilà, c’est fini, comment contre-argumenter après cela ? Et cet article est-il imbuvable ou intéressant ? à vous de me le dire !